Présentation
Avec la création de « Horla » en juin 97, La Compagnie du Kiosque devait franchir un cap, affirmer clairement sa démarche artistique.
A partir de l'oeuvre littéraire de Guy de Maupassant "Le Horla", Jacques Brun assisté par Françoise Brun a dans un premier temps mené un travail d'adaptation.
Il a ensuite constitué autour de lui une équipe apte à lui apporter une aide artistique de qualité. Sur le plateau on trouvait la danseuse Rita Cioffi - ex Cie D. Bagouet – et le comédien Dominique Ratonnat. Autour du plateau, dans une partition originale, les musiciens Philippe Brun et Alain Morana ; à leurs côtés le décorateur Jean-Yves Rabier, Serge Parizet pour la création lumière, Elisabeth Twardowski pour les costumes.
Adapter une oeuvre littéraire, la porter à la scène, faire converger comédiens, danseurs et musiciens sur le spectacle, le pari était risqué... Risqué mais passionnant.
Créé à Saint Pons de Thomières, repris à Montpellier en 98 au Théâtre d'O puis au Théâtre de La Gerbe à guichets fermés, joué dans diverses villes et théâtres de la région, le spectacle a reçu un accueil très positif.
« Horla » est un spectacle qui marque une étape décisive dans le parcours de la Compagnie du Kiosque. De par son propos, sa forme, il reste un spectacle actuel.
« Horla » sera prochainement à nouveau en exploitation
Au cœur du spectacle
De la Nouvelle à la Scène
Par Françoise Brun (Co-adaptatrice)
Dans sa maison des bords de Seine, un homme anonyme et solitaire tient son journal intime.
Il y consigne scrupuleusement sa longue descente aux Enfers. A quelques instants de plénitude, succèdent rapidement malaises, craintes et angoisses indéfinissables que l'homme s'efforce, en vain, de comprendre et de dominer. Une présence invisible, insinuante, l'assaille, l'obsède, le hante, l'absorbe. Diverses expériences le conduisent à cette conclusion: la présence est réelle, un autre Etre boit son eau, cueille les fleurs de son jardin, tourne les pages de son livre.
Qui est-il ? Le Horla. C'est ainsi que le narrateur nomme cet Autre ; cet autre lui-même. Et que faire donc pour y échapper sinon mourir ?
Ainsi peut-on brièvement résumer « Le Horla », l'une des nouvelles les plus célèbres et les plus achevées de Guy de Maupassant.
L'adapter au théâtre ? Cette transposition est des plus séduisante.
Qu'est-ce en effet que le théâtre - dans son acception la plus classique - sinon la représentation d'un conflit, d'une crise ? Ici le conflit est majeur, fondamental, existentiel : celui d'un homme avec lui-même, avec cette autre part de lui-même. En outre, l'unité de lieu qu’est la scène donne plus de force encore au débat, au combat qui - à l'exclusion de quelques échappées- se joue dans le lieu clos de la chambre.
De cette nouvelle, il a été fait bien des lectures. Les éléments autobiographiques ne manquent pas, les références historiques non plus. On sait Maupassant assailli par la maladie; on le sait influencé par Schopenhauer, fasciné -comme les hommes de son temps- par les expériences médicales et scientifiques relatives à la démence ; on connaît le goût de l'époque pour le fantastique et, en ce sens, notre auteur appartient à la meilleure tradition du XIX siècle, telle que l'ont représentée Hoffmann, Poe, Nodier, Gautier ou Mérimée.
Mais au-delà des ces influences, la nouvelle présente des enjeux spécifiques. Il s'agit aussi et surtout, de la tragédie d'un individu qui, éminemment solitaire, ne peut réaliser l'unité de sa vie et en meurt. C'est cette lecture de l'oeuvre qui intéresse Jacques Brun, celle qui privilégie le destin personnel et ce qu'il y a de plus humain, donc de plus universel, dans son accomplissement.
Enfin, la mise en scène envisagée me semble particulièrement intéressante car, allier à l'art dramatique la musique et la danse, c’est relayer la parole pour donner forme aux interrogations, à la réalité qui se dérobe et s'opacifie ; c’est donner forme à la présence même de l'Invisible.
C'est, en tous cas, me semble-t-il, un moyen pour passer de la nouvelle à la scène.
Le Horla : Pourquoi ?
par Jacques BRUN
GLOUCESTER : Dites donc que la paix est faite
LADY ANNE : Vous le saurez plus tard.
GLOUCESTER : Mais puis-je vivre dans l'espérance ?
LADY ANNE : Tous les hommes y vivent, j'espère.
Richard III. W. Shakespeare
Qu'est-ce donc qui me pousse à porter »le Horla » à la scène...?
J'interprète ce texte comme une fable.
Je m'explique.
De Darwin et sa théorie de l'évolution en passant par Nietzsche et son tonitruant »Dieu est mort! » jusqu'au progrès inouï du génie génétique, tout tendrait à prouver que la vie n'a pas d'origine divine. Nous serions donc arrivés à un degré de lucidité qui, s'il étanche en partie notre soif de savoir, ébranlerait définitivement nos croyances en les faisant passer irrémédiablement au rang de mythes. Nos connaissances s'accroissent et accélèrent l'abandon de nos « superstitions »; forts de notre rationalité nous accèderions à « l'âge adulte ». Pourtant...Pourtant, paradoxalement, loin de nous rassurer voici que le vertige nous gagne, voici que notre « boussole intérieure » se dérègle et s'affole car la question du sens de la vie subsiste...brûlante, incontournable, plus que jamais... Le savoir nous amputerait-il d'une part de nous-mêmes ? La question reste ouverte.
Bien sûr nous cherchons à substituer à nos cultes « désuets » d'autres cultes. Actuellement, le culte de la connaissance fait fureur sur nos écrans et dans nos magazines. A ce propos, une anecdote : je regardais dernièrement à la télévision un de nos astrophysiciens des plus illustres - qui bizarrement ressemble à un prophète - expliquer les rouages de l'univers à un groupe d'enfants qui l'écoutaient « religieusement ». Il concluait son propos en décrétant qu'à l'échelle de l'univers nous n'étions « presque rien ». Presque rien !? Ah bon !? Angoisse... Est ce que j'existe au moins..? Je me pinçai alors violemment pour vérification...Aïe!!!
Trêve de plaisanterie, revenons au « Horla »:
Pour moi le sujet souffre d'une angoisse existentielle. Face à son mal il est désespérément seul puisque pour lui aussi « Dieu est mort » - Nietzsche est mort fou -. Il tente d'expliquer bien sûr, il analyse avec méthode, s'interroge sur ses symptômes, cherche des solutions - partir..? mais où ? -. Mais jamais il ne demande de l'aide et sa chute nous apparaît comme inexorable...
Observons-le le temps d'un spectacle... oui c'est cela, observons-le, lui qui est privé de la lumière de l'espérance - cette lumière d'or qui filtre sous la porte fermée - regardons-le, baigné dans un brouillard qui s'opacifie, regardons-le, tant qu'il est encore temps, se cogner, tâtonner et tomber...
Regardons-le... Regardons-nous ?
L'Analyste continue à accorder sa confiance à l'Artiste
par Jean Reboul (Psychanalyste)
- Psychanalyste
- Docteur en Psychologie
- Médecin gynécologue
- Docteur en biologie humaine
- Auteur de plusieurs ouvrages dont :
« Le Désir...La Mère...L'enfant » (1989)
« Lettre à une jeune fille » (2000)
« Les quatre saisons d’une femme » (2008)
ainsi que de deux films avec Eric Duvivier:
« L'impossible enfant »(1981) et,
« Le rendez-vous avec le temps »(1984)
- S'intéresse, au thème:
« Art et Médecine »
sur lequel il a organisé plusieurs rencontres.
Certaines avec la collaboration de comédiens et de musiciens.
Jacques Brun m'a demandé d'exprimer spontanément et brièvement ce que je pense de sa décision de mettre en scène « Le Horla ».
Ce projet est important. L'histoire d'un homme dont la dégradation progressive et inéluctable le confronte à l'horreur de l'impossible à dire est de la plus haute intensité dramatique. Elle évoque, pour l’être humain, l'angoisse la plus profonde.
Le syndrome hallucinatoire qui se déploie au fil des pages, très riche sur le plan sémiologique, n'est pas sans évoquer les conséquences directes sur le psychisme d'une maladie organique - la paralysie générale dont Maupassant était lui même atteint-: « Je ne puis pas écrire parce que je ne suis plus maître de mes mots » dit-il en 1891. C'est là que s'accomplit une inexorable rencontre. Elle est au coeur de la question analytique, point crucial de l'interrogation humaine : émergence de l'angoisse devant l'irruption du Réel. De nombreux passages témoignent de ce mouvement, tel cet insoutenable instant où le regard percute le vide de l'image absorbée par le miroir.
L'horreur renvoie le metteur en scène à son oeuvre. Car il ne peut s'agir que d'une création. Non point d'une re-création, moins encore d'une explication ou d'une interprétation. A chacun, metteur en scène, comédien, danseur, musicien d'évoquer en son oeuvre, l'Ineffable rencontre.
L'oeuvre, dans l'étymologie c'est aussi la ressource, la richesse, la force. Dans les langues romanes, une tâche que réclament les dieux. Au sens religieux, elle ne désigne pas le culte ou le rite, elle est directement liée au mystère, à l'inconnaissable.
L'artiste à l'oeuvre, par son dire, est convoqué à son accomplissement.
L'art est un dévoilement. Il transporte le monde au regard du sujet, mais il ne peut accomplir sa fonction que si l'artiste laisse advenir ce que la beauté désespère.
« Le propos de l'art, écrit Charles Etienne, est de nous dire ce qui n'a jamais été dit, de donner à cet indicible la forme plastique préjugée par lui impossible ». Impossible tâche, en effet! Et l'artiste le sait bien. Là est sa peine.
C'est ce souci que j'ai entendu chez Jacques Brun.
L'analyste s'occupe de ce que le sujet veut dire - L'artiste dit.
Ce n'est pas le raté de ses actes qui parle, c'est ce qu'il fait.
Ainsi, l'analyste continue à accorder sa confiance à l'artiste.
Réflexions sur l'Adaptation de « Horla »
par Françoise BRUN
COMPOSITION DE LA NOUVELLE.
La nouvelle comporte deux grands mouvements, à peu près égaux quantitativement (16 pages/14 pages) et un épilogue.
- Le 1er Mouvement : (8 Mai / 6 Août) Evoque sur deux mois la progressive émergence des symptômes, entrecoupée de périodes de rémission ; il est aussi caractérisé par de longs passages analytiques dans lesquels le narrateur tente de dominer, rationnellement, ses malaises.
- Le 2eme Mouvement : (6 Août / 21 Août) Evoque sur quinze jours la multiplication des phénomènes étranges et l'inéluctable montée de la folie : le ralentissement du temps de la fiction traduit bien l'amplification des phénomènes auxquels le narrateur est soumis ; ce mouvement est caractérisé par l'évocation d'émotions, d'interrogations, de pulsions, de délires...
- Enfin, après une ellipse de quinze jours, le récit du 10 septembre constitue le dénouement tragique.
LA TRANSPOSITION.
L'adaptation est réalisée en fonction :
- Du choix de lecture: On privilégie les éléments du conflit personnel plutôt que les éléments du contexte historique, scientifique (exemple: suppression de la scène d'hypnose)
- De la spécificité du genre dramatique qui et « Discours et Action » et non pas « Récit et Description ».
- Du parti pris de mise en scène : Soumettre le sujet (narrateur de la nouvelle) au regard d'autrui, pour varier ainsi les approches du personnage (et éviter de longs monologues) Les quatre domestiques incarneront le regard.
Concrètement on va donc : Garder, supprimer ou transposer les éléments de la nouvelle.
On garde : Surtout dans le premier mouvement, et parfois littéralement, les passages d'introspection particulièrement révélateurs de la psychologie du personnage (volonté de maîtriser les phénomènes) ; le discours interrogatif du narrateur.
On supprime : Tout ce qui est susceptible de ralentir le rythme du discours (passages descriptifs notamment); tout ce qui peut être montré autrement par l'action, le jeu de l'acteur (le récit devient alors, simple indication scénique)
On transpose : Certains éléments du texte pour les rendre plus pertinents à la scène
- Le passé simple du récit devient passé composé ou présent, temps du discours.
- Des dialogues viennent suppléer des exposés ou des récits. Exemple: le récit du « faux départ » (16 Août) devient dialogue entre le narrateur et un domestique ; le récit du séjour à Paris devient une lettre lue, à plusieurs voix, par les domestiques.
- Le jeu dramatique, la danse, la musique relaient la narration des émotions et du délire, surtout dans la deuxième partie.
Horla : Comment ?
Par Jacques BRUN.
Donc, il s'agira d'assister là, en direct, à une descente aux enfers, une mort annoncée en quelque sorte...
Sablier qui s'écoule, éphéméride qui s'effeuille, je souhaite que le temps qui passe soit souligné, martelé, devenant le compte à rebours fatal qui nous laisse deviner l'issue de la chute.
Cette chute, je souhaite qu'elle implique le spectateur – un « Regard Miroir » plutôt qu'un « Regard Voyeur » - Où nous situons nous, nous qui regardons ?
Pour relayer ce regard, sur le plateau, entourant le personnage central, « le Choeur ».
Composé de quatre domestiques, « Le Choeur », témoin privilégié, assiste à la chute de l’intérieur. Quatre domestiques donc, et autant de regards différents sur le déroulement de cette tragédie : regard sarcastique du valet de chambre qui se repaît du malheur d'autrui, regard fuyant de la lingère à qui la souffrance fait peur, le regard qui ne voit pas, insensible, du cochet ou celui plein de compassion et de douceur de la jeune cuisinière...
Plaque sensible donc que ce « Chœur » où s'imprègnent et se lisent les sentiments, les émotions ; « Chœur » (presque) muet qui, comme dans la tragédie antique, nous commente l'action.
La présence du «Chœur » dans l'action dramatique a bien sûr guidé et déterminé le travail d'adaptation du texte de Maupassant, au même titre que la présence de la musique et de la danse.
Que dire de la danse ? De ma volonté de vouloir incarner « Horla » ?
C'est pour moi - et pour la danseuse - « l'Aventure » du projet, son audace... Mais une « audace réfléchie » à mes yeux, et non gratuite. La danse - l'idée que je m'en fais - exprime l'indicible ; et dans l'action dramatique qui nous concerne, là où le personnage décrit longuement ses malaises, ses cauchemars, la danse elle, touchant à l'essentiel, nous les donne à voir.
Il en va de même pour la musique qui elle aussi, moins « bavarde » que les mots, nous invite à ressentir et à humer les choses.
Musique et Danse sont pour moi des éléments à part entière de l'action dramatique. A la lecture du « Horla » elles se sont imposées comme une évidence et, sans ce parti pris, je n'aurai pas porté la nouvelle de Maupassant à la scène.
Une danseuse, des comédiens, des musiciens, un « scénario » de Maupassant...cette rencontre, cette polyphonie théâtrale, est l'essence même de mon projet.
Hor-la… Deux Notes, l'une Noire l'autre Blanche
Par Philippe BRUN (Compositeur)
Jouons sur les mots :
Hor-la. Deux notes, l'une Noire, l'autre Blanche.
Deux sortes de gestes de la part de la danseuse, elle pousse l'air de l'atmosphère dans un premier temps, puis elle le ramène vers elle.
Hor-la ? C'est au tour de l'acteur qui s'interroge, oui ou non ?
Le metteur en scène, grand chef d'orchestre, a pour but d'harmoniser les notes, les gestes et les mots, pour qu'ensemble ils continuent le Tic et le Tac de la pendule, le va et le vient du métronome, le To Be or le Not To Be de la littérature, le rythme étrangement binaire (Dièse ou Bémol) de l'esprit humain.
L'équipe
Mise en Scène : Jacques Brun
Adaptation : Françoise Brun, Jacques Brun
Création Musicale : Philippe Brun
Partition Musicale : Philippe Brun, Alain Morana
Chorégraphie : Rita Cioffi
Décor : Jean-Yves Rabier
Création Lumière : Serge Parizet
Costumes : Elisabeth Twardowski
Son : Sébastien Rexovice
Administration de la Production : Nathalie Allard
Danseuse : Rita Cioffi
Comédien : Dominique Ratonnat
Comédiens choeur : Lucie Gazel, Marie Claude Galinier, Orlane Rome, John Lebeau, Bertrand Mouret, Mickaël Viguier, Jean Denis Mauborgne, Agnès Garcia
Crédits Photos : Bernard Fabre
Production : Ville de Saint Pons de Thomières, Département de l’Hérault, Drac Languedoc Roussillon.
Dans la presse